Les tendances mondiales dans le domaine de l’armement sont inquiétantes. Les budgets de défense augmentent depuis plusieurs années et représentent aujourd’hui plus de 2 pour cent du PIB mondial. La Suisse n’est pas en reste. Le budget militaire augmente, de même que les exportations de matériel de guerre: plus 43 pour cent selon les chiffres publiés la semaine dernière par la Confédération.

L’objectif de l’initiative, c’est d’inverser cette tendance par le désinvestissement dans le secteur de l’armement. Il n’est pas admissible que la Banque nationale fasse de l’argent en cas de guerre. En janvier, pourtant, elle a gagné plus de 30 millions de francs en quelques heures, lors de l’amorce de conflit entre les Etats-Unis et l’Iran.

L’initiative s’inscrit dans une autre tendance: les Suissesses et les Suisses veulent de plus en plus contrôler ce que les instituts financiers font avec leur argent. Ils ne veulent plus que leur argent serve à financer des industries polluantes, qui détruisent l’environnement et le climat. Ils ne veulent plus que leur argent serve à financer des entreprises irresponsables, qui bafouent les droits humains. Ils ne veulent finalement plus que leur argent serve à financer des producteurs de morts.

De plus en plus, les institutions financières appliquent des critères dits ESG, des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces critères redonnent aux investisseurs une responsabilité vis-à-vis de leur investissement. Ils offrent une transparence essentielle dans notre système financier. D’ailleurs, comme vous avez pu le lire dans Le Temps ce matin, l’initiative ne changera rien pour certaines caisses de pension qui appliquent déjà ces critères et ne soutiennent plus du tout l’industrie de la guerre.

Il faut aussi briser ici un lieu commun: les rendements de ces investissements ESG ne sont pas plus faibles, ils ne sont pas plus mauvais que les autres et la sécurité de ces investissements n’est pas moindre. Au contraire, ces investissements sont bâtis sur un modèle plus soutenable, qui prend en compte les facteurs humains et environnementaux, et ne se basent pas uniquement sur le rendement à court terme.

A noter encore que le taux de 5 pour cent prévu par l’initiative en ce qui concerne la limite à partir de laquelle les investissements sont prohibés ne tombe pas du ciel. C’est la limite qui est généralement acceptée dans le cadre de l’application des critères ESG. Et pour répondre au rapporteur, le maintien de ces critères année après année ne pose pas de problème non plus, les institutions financières ou les institutions qui les conseillent le font déjà.

La loi fédérale sur le matériel de guerre règle aujourd’hui les investissements dans le domaine. Elle interdit explicitement les investissements directs dans le matériel de guerre prohibé. Le législateur y a toutefois laissé une importante lacune. Le financement indirect est autorisé lorsqu’il ne contourne pas le financement direct. La porte est ainsi grande ouverte. En 2018, l’ICAN, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, a recensé des investissements des banques suisses et de la Banque nationale suisse (BNS) pour presque 9 milliards de francs dans des producteurs d’armement nucléaire. Ce n’est sans doute, en Suisse, que la partie visible de l’iceberg, et ces investissements augmentent d’année en année malgré les engagements de la BNS depuis 2014.

Dans le domaine financier, il existe un problème supplémentaire. De plus en plus, les investisseurs font appel à des fonds basés sur des indices ou d’autres produits d’investissement qui sont passifs. Ils sont réputés plus sûrs et plus neutres, mais ces pratiques sont dangereuses. Elles font oublier que les investisseurs ont une responsabilité et elles permettent à des entreprises de survivre en bourse alors même qu’elles traversent de grandes difficultés, simplement parce qu’elles existent dans un indice. De nombreuses entreprises actives dans le domaine militaire, y compris des entreprises fabriquant du matériel prohibé, sont prises en compte dans ces fonds. Ce problème serait effectivement réglé par l’initiative.

Les entreprises craignent pour leur chiffre d’affaires et les emplois. On a souvent entendu cet argument dans le débat et on l’entendra encore pendant de longs mois. Rassurons-les: premièrement, les petites et moyennes entreprises sont majoritairement financées par d’autres sources de financement que la Banque nationale ou les caisses de pension. Elles se financent auprès des banques et sont souvent construites sur des capitaux propres. Mais ce n’est pas tout. L’argent ne disparaît pas, il circule. En asséchant les sources de financement pour un type d’industrie, en l’occurrence par exemple l’armement, on donne des moyens à d’autres de prospérer.

C’est pour toutes ces raisons que je vous prie de soutenir ma minorité qui propose à notre conseil de recommander l’adoption de l’initiative.