Nous reprenons donc le débat sur le développement de l’acquis de Schengen. Depuis le rejet du projet par notre conseil au mois de septembre dernier, rien n’a fondamentalement changé. Le Conseil fédéral a certes invité les délégations à manger, mais sur le fond les problèmes restent les mêmes.

Les Suissesses et les Suisses se sont habitués au confort de Schengen lors de leurs déplacements au sein de l’Union européenne, des déplacements en toute liberté pour les loisirs ou le travail, soumis à très peu de contrôles. Les résultats de la votation du 27 septembre dernier sur l’initiative de limitation en sont la preuve. Une grande partie de la population est attachée à la libre circulation des personnes.

Pour les Verts, le problème est pourtant ailleurs. Ce sont les restrictions grandissantes vis-à-vis des étrangers des états tiers, la politique migratoire de plus en plus stricte, justifiée par la peur de la criminalité, et le renforcement d’une Union européenne policière. Pour les migrantes et migrants, Schengen et Dublin sont synonymes d’entrave, de violation des libertés fondamentales, de contrôle. C’est l’expression de la forteresse Europe que les Verts dénoncent de longue date.
D’ailleurs, aux dernières nouvelles, les 27 ont préféré financer un nouveau camp sur l’île de Lesbos plutôt que revoir, sur des bases plus solidaires, la politique d’asile de l’Union européenne. Le Système d’information Schengen (SIS) fait partie intégrante de cette politique. Le règlement SIS Frontières prévoit par exemple le signalement obligatoire d’une interdiction. Le Conseil fédéral indique dans son rapport le but de cette obligation: « Ceci aura pour conséquence (…) un plus grand nombre d’interdiction d’entrée. » Aujourd’hui, 500 000 personnes sont répertoriées dans SIS et ne peuvent, pour diverses raisons, plus être accueillies en Europe.

La Suisse suit le mouvement. Le vrai problème, c’est le durcissement de la loi sur les étrangers et l’intégration sous couvert du développement de l’acquis de Schengen. Le Conseil fédéral propose d’interdire l’entrée en Suisse pour toute une série de délits. Alors que de nombreuses interdictions revêtaient jusqu’à aujourd’hui la forme potestative permettant un semblant d’appréciation individuelle par le Secrétariat d’Etat aux migrations, elles deviennent obligatoires.
Ces interdictions violent, à notre avis, le principe de proportionnalité et présentent une forme de double peine. La clause humanitaire de l’article 67 alinéa 5 LEI, souvent invoquée par le Conseil fédéral comme garde-fou, est aujourd’hui peu utilisée. Elle n’est en aucun cas une compensation pour la suppression de la formulation potestative parce qu’elle est beaucoup plus difficile à invoquer.

Il y a quelque chose de malsain dans le raisonnement cyclique invoqué par le Conseil fédéral. Dans ses explications, il estime qu’il n’a pas le choix en vertu des règles européennes. Pourtant, selon la directive européenne, l’interdiction doit être inscrite dans le SIS après une analyse permettant de déterminer dans quelle mesure la personne représente un danger pour la sécurité publique. Le Conseil fédéral indique ensuite qu’il ne peut pas se soustraire à cette analyse puisque le principe de proportionnalité inscrit dans la Constitution l’y oblige. Il indique alors que rien ne changera par rapport à la pratique actuelle. Mais alors, pourquoi changer la loi? En fait, tout le monde s’accorde pour dire que c’est un durcissement, comme l’a par exemple concédé le rapporteur Rechsteiner dans un débat sur la SRF. Il vient d’ailleurs de le répéter, les modifications de la loi sur les étrangers ne sont pas indispensables.

Les Verts ont également critiqué le problème de la protection des données en lien avec la banque de données SIS. Le nombre de personnes autorisées à accéder aux données SIS est problématique. En 2018, on comptait deux millions de personnes autorisées à consulter les informations concernant plus de 75 millions de personnes. On parle de données sensibles, des données biométriques, des photographies permettant l’identification automatique, des empreintes palmaires, des profils ADN. Des documents internes de l’Union européenne montrent par exemple que le Royaume-Uni s’est largement servi dans la base de données du SIS sans en avoir l’autorisation. Il a ensuite utilisé ces données en sachant qu’elles n’étaient plus à jour. Nous débattrons mercredi de l’interopérabilité des systèmes européens SIS avec d’autres. Dans ce cadre, le surveillant européen en charge de la protection des données estime lui-même qu’il y a un grave problème.

Si les propositions décidées par le Conseil des Etats améliorent un peu la situation, ce n’est à notre avis pas suffisant. Nous vous demandons donc de ne pas entrer en matière.